Symptômes, manifestations

Il résulte de cette anomalie énergétique que cette société va être amenée à souffrir tous les symptômes de l’excès de Yang comme tous ceux de la pénurie de Yin.

Sommairement, on pourrait dire que, dans le monde,

Les manifestations de fonctionnement hyper Yang

sont tous ceux de l’excès de disjonction:

 

  • L’excès d’appropriation (concentration et répartition inique de la richesse, système économique mondial oppressif, générant destruction, chômage et pauvreté, colonialisme…),
  • L’excès d’agressivité (conflits de tous genres : territoriaux, nationalistes, religieux, économiques, guerres incessantes),
  • La « loi du plus fort » comme seul guide dans les rapports humains, la domination,
  • L’activisme,
  • L’utilisation de l’élimination comme principal moyen de résolution des problèmes,
  • La survalorisation de la vie extérieure et du monde des objets, de sa découverte et de sa conquête (société de consommation, tourisme, conquête spatiale…),
  • La survalorisation des productions intellectuelles (idées, doctrines, idéalisations, rationalisations, idéologies, confessions, discours),
  • La verticalisation de l’organisation physique des sociétés (urbanisation sans frein),
  • La survalorisation de l’artificiel,
  • L’abus de pouvoir et d’autorité, des hiérarchies étouffantes, tyranniques,
  • L’imposition d’un ordre moral, de la lutte entre le bien et le mal,
  • Une croyance excessive dans la parole, les discours, les écrits pour régler les problèmes,
  • Une science dont les effets ne sont pas considérés à leur mesure et dont les finalités ne sont pas discutées…

Les manifestations de fonctionnement hypo Yin

sont toutes celles du déficit de conjonction:

 

  • Faiblesse du tissu social (impossibilité de créer des communautés fortes et équilibrées),
  • Absence de partage, de fraternité, de solidarité, d’entraide, de responsabilité (sociale, écologique), de convivialité, de civilité, de communication et de compréhension,
  • Absence ou faiblesse du contrôle ascendant sur la hiérarchie, sur les dirigeants politiques, sociaux, économiques et religieux, sur les experts scientifiques et techniques, sur les dirigeants illégaux (guérilla, paramilitaires, corrompus…),
  • Impossibilité de valoriser et de faire respecter la Nature,
  • Ignorance des apports de la vie intérieure à la transformation, l’harmonisation et la pacification de l’être humain,
  • Difficulté à percevoir le global, le fondamental, l’essentiel, le sacré, perte du sens de la responsabilité,
  • Vision à court terme sans possibilité d’appréhender le contexte,
  • Impossibilité pour les femmes, les enfants, les indigènes et les retraités de se défendre de l’agressivité et de la voracité de la société hyper Yang,
  • Impossibilité pour eux de s’exprimer comme sujets à part entière et en condition d’égalité…

 

On aura donc compris qu’une société patriarcale, par définition, ne peut être que dysfonctionnelle, déséquilibrée, violente, agressive, expansionniste, injuste, malheureuse et stérile. Elle générera toujours de l’abus de pouvoir, des mauvais traitements à la Femme, à l’enfant, à la Nature, à la petite paysannerie, aux indigènes, aux invalides…

 

Selon Humberto Maturana, avec l’apparition du patriarcat au Moyen Orient quelques trois mille ans avant JC, a commencé la lutte entre le Bien et le Mal, où « le bien est le patriarcal, l’autorité et l’obéissance, la transcendance du matériel vers le spirituel, la défense de la propriété personnelle, la compétition, la fertilité vue comme la procréation sans limite et le contrôle du monde naturel. Le mal, c’est le matristique, le respect pour l’émotion, la légitimité de l’autre, l’identification avec le naturel sans chercher son contrôle, la non compétition, la fertilité vue comme abondance harmonieuse et la conscience de la responsabilité dans le vivre. »[1] Et il souligne cette ambivalence notoire entre d’une part l’effort continuel des systèmes patriarcaux en vue de soumettre la femme et de nier son autonomie et sa dignité matristique, et d’autre part cette contradiction que nous vivons au passage du monde de l’enfance (qui reste matristique dans la relation mère – enfant) à la jeunesse puis à l’âge adulte (qui deviennent patriarcaux). Les valeurs inculquées dès l’enfance sont le respect d’autrui, la collaboration, la participation, l’entraide, le respect de soi-même. Les valeurs de la vie adulte sont la lutte, la compétition, l’appropriation, le non-respect de l’autre, la recherche des apparences et la perte de la dignité dans la soumission à l’autorité. « Plus encore, dans ce processus, comme petits garçons et petites filles nous voyons l’acceptation continuelle de la négation de la femme matristique par l’homme patriarcal comme une opposition entre le masculin et le féminin dans laquelle le féminin est la faiblesse, l’arbitraire, l’émotionnalité, l’inconstance et l’irrationalité pendant que le masculin se voit comme la force, la rationalité, la constance et la profondeur. Rien de tout cela n’est valable biologiquement. »[2]

 

Françoise Gange, dans sa très belle étude sur l’instauration progressive du patriarcat dans l’humanité[3], le décrit ainsi : « Le monde contemporain meurt « d’hypervirilité », au sens que le patriarcat a imposé à la virilité : mentalité conquérante, étayée sur un appétit de pouvoir et de richesses matérielles, qui implique hiérarchie et contrôle, nécessaires pour asseoir la domination ; prédominance du mode rationnel de pensée qui découpe, sépare, là encore en vue d’une hiérarchisation des idées ; mode d’évaluation quantitatif du monde, des autres et de soi-même. Sur le plan moral, ce système est fondé sur l’exclusion et le petit nombre des « élus », d’où découlent orgueil nombrilique et culte du moi, cynisme érigé en mode d’appréhension du monde et de l’autre. »

  

« Son corollaire est « l’hypoféminité » entendue au sens que la « première culture » dégageait de la féminité, à travers son hypostase, la Mère divine : ouverture, bienveillance, respect du Tout conçu comme solidaire, générosité engendrant le foisonnement de la vie, prédominance du mode d’appréhension intuitif, sensibilité empathique, importance de l’affectif et de l’improvisation qui tient compte de la mouvance des flux de la vie, globalisation de la pensée aussi, parce qu’il n’y a pas de solidarité sans prise en compte de l’ensemble des éléments du réel. »

 

Joël de Rosnay[4] partage la même vision du monde quand il voit la nécessité de la mise en place de valeurs féminines pour construire un monde plus équilibré : « Pendant des millénaires les hommes ont assuré leur survie grâce à la domestication de l’énergie solaire par l’agriculture. Cette étape de l’évolution des sociétés a favorisé des valeurs de nature symbiotique : complémentarité, équilibre, utilisation ménagée des ressources. La période de conquête économique et industrielle des derniers siècles, résultant de l’exploitation accélérée des combustibles fossiles, privilégie des valeurs « masculines » : compétition, conquête, domination, croissance. La transition que connaît désormais l’humanité – phase d’aménagement postindustrielle ou bioécologique, société d’information et de communication – va nécessiter le retour à des valeurs « féminines » comme la solidarité, la complémentarité, l’équilibre, des valeurs analogues à celles qui prévalaient  dans la période de survie de l’humanité. Il serait quelque peu réducteur d’opposer systématiquement les valeurs « masculines » aux valeurs « féminines », mais il est intéressant de se placer dans le contexte de leur complémentarité. »

 

« Depuis l’aube de l’humanité, le comportement masculin s’est révélé dans la chasse, la guerre, la conquête ou la défense des territoires. Le comportement de la femme dans l’aménagement et le « management » du foyer, la transmission de la vie et des connaissances. Aujourd’hui, la crise de l’environnement, les dangereux pouvoirs de la biologie, les défis de l’éducation font apparaître au premier plan l’influence des valeurs féminines dans le débat sur les grands enjeux de société. » Les valeurs féminines que Joël de Rosnay appelle de ses vœux ne peuvent se manifester qu’à la condition d’être soutenue par leur énergie propre, l’énergie Yin. Ces valeurs féminines ne seront jamais puissantes et influentes dans une société patriarcale.

[1] MATURANA Humberto. El sentido de lo humano. Dolmen Ediciones, Santiago de Chile en coedición con TM Editores, Santafe de Bogota, 1998, p 332.

[2] MATURANA Humberto. El sentido de lo humano. Op. Cit., p 316.

[3] GANGE Françoise. Avant les dieux, la Mère universelle. Alphée, Paris, 2005, p 429.

[4] ROSNAY (de) Joël. L’homme symbiotique. Regards sur le troisième millénaire. Seuil, Paris, 1995,

p 279.